Pourquoi remettons-nous toujours à plus tard ce que nous pourrions faire maintenant ? Pourquoi la procrastination est-elle si courante et comment la surmontons-nous ? Est-ce un phénomène moderne ou a-t-elle des racines plus profondes dans notre histoire et notre psychologie ? Je vous propose d’explorer la procrastination à travers le temps, sous la loupe des philosophes, des écrivains, des psychologues et même des enseignements bouddhistes.
L’Antiquité : Socrate et la “akrasia”
Le philosophe grec Socrate a identifié un phénomène qu’il a appelé “akrasia” (acrasie), ou l’acte d’agir contre son meilleur jugement. C’est peut-être la première reconnaissance de la procrastination dans la philosophie occidentale.
Socrate a soutenu que la connaissance est vertu, et donc, si nous savons ce qui est bien, nous le ferons. Pourtant, l’akrasia suggère que nous reportons souvent ce que nous savons être dans notre meilleur intérêt.
Cette idée soulève des questions intéressantes sur la nature humaine et la volonté.
Pourquoi agissons-nous contre notre meilleur jugement ? Est-ce un défaut inhérent à notre condition humaine ?
Le Moyen Âge : Saint Thomas d’Aquin et la “paresse”
C’est au Moyen Âge que Saint Thomas d’Aquin a classé la paresse, ou “acedia”, comme l’un des sept péchés capitaux. Il a vu la paresse non seulement comme une réticence à travailler, mais aussi comme une résistance à l’acte de vivre pleinement sa vie.
Cette interprétation de la procrastination souligne l’aspect moral et éthique de la question. Elle nous invite à réfléchir sur la valeur que nous accordons à notre temps et à notre travail.
Est-ce que procrastiner signifie que nous ne valorisons pas suffisamment notre temps ?
Est-ce vraiment de la paresse ? Aujourd’hui nous savons que non.
L’Ère Moderne : Proust et la “Recherche du temps perdu”
Dans l’ère moderne, Marcel Proust a exploré la procrastination à travers son œuvre “À la recherche du temps perdu”. Il reporte constamment l’écriture de son propre livre, préférant se perdre dans la contemplation et la mémoire.
« Si j’avais été moins décidé à me mettre définitivement au travail j’aurais peut-être fait un effort pour commencer tout de suite. Mais puisque ma résolution était formelle, et qu’avant vingt-quatre heures, dans les cadres vides de la journée du lendemain où tout se plaçait si bien parce que je n’y étais pas encore, mes bonnes dispositions se réaliseraient aisément, il valait mieux ne pas choisir un soir où j’étais mal disposé pour un début auquel les jours suivant, hélas ! ne devaient pas se montrer plus propices. Mais j’étais raisonnable. De la part de qui avait attendu des années il eût été puéril de ne pas supporter un retard de trois jours. Certain que le surlendemain j’aurais déjà écrit quelques pages, je ne disais plus un seul mot à mes parents de ma décision ; j’aimais mieux patienter quelques heures, et apporter à ma grand-mère consolée et convaincue, de l’ouvrage en train ».
Ici, la procrastination devient presque une forme d’art, une exploration de l’expérience subjective du temps.
Cela nous amène à nous demander : la procrastination est-elle toujours une mauvaise chose, ou peut-elle parfois nous conduire à des découvertes précieuses ?
L’Ère Contemporaine : Les psychologues et la “procrastination structurée”
Les psychologues Fuschia Sirois et Timothy Pychyl, quant à eux, suggèrent que la procrastination est un échec de régulation de soi-même. Cet échec se produit en raison d’une priorité accordée à la gestion de l’humeur à court terme.
Une équipe de chercheurs de l’Institut du Cerveau à Paris a identifié une région du cerveau où se joue la décision de procrastiner : le cortex cingulaire antérieur.
Ces découvertes récentes nous donnent un aperçu fascinant de la complexité de la procrastination. Elles nous rappellent que la procrastination n’est pas simplement une question de paresse ou de manque de volonté. Cette tendance est profondément enracinée dans notre psychologie et notre neurologie.
Le Bouddhisme et la procrastination
Dans le bouddhisme, la procrastination est vue comme une manifestation de doutes et de négativité envers soi-même. Le bouddhisme propose une pratique pour surmonter la procrastination : le chant de Nam-myoho-renge-kyo.
Ce chant aide à transformer la voix intérieure de l’anxiété ou de la frustration en confiance et en accomplissement. Dans ce cas, la procrastination n’est pas seulement un problème personnel. Elle peut aussi être abordée à travers des pratiques spirituelles et communautaires.
Akiko, une pratiquante bouddhiste, partage comment le chant l’a aidée à transformer son anxiété en force : “Quand je chante, je ressens une force de vie qui me permet de vaincre ma négativité. Cela me donne le courage de relever les défis que je redoute, au lieu de les repousser et de procrastiner.”
Daisaku Ikeda, un philosophe bouddhiste, écrit : “Le temps équivaut à la vie. C’est un trésor inestimable. Ceux qui valorisent le temps, valorisent la vie”.
La procrastination est un phénomène complexe. Elle a été interprété de différentes manières à travers l’histoire, la philosophie, la psychologie et même la religion. Elle peut être vue comme un reflet de notre relation avec le temps, la connaissance, la moralité et même l’existence elle-même.
Alors la prochaine fois que vous vous surprenez à procrastiner, prenez un moment pour réfléchir à ce que cela dit de vous. Vous pourriez être surpris par ce que vous découvrez.
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